55 ans après l'éclatante victoire sur le terrorisme, "la Bataille d'Alger" demeure aujourd'hui encore un épisode capital, douloureux et particulièrement controversé de la guerre d'Algérie.DLP lors du 50e anniversaire de la Bataille d'ALGER "Massu, je vais vous confier l'ordre dans ce département. Vous aurez tous les pouvoirs. Avec votre division, vous allez reprendre tout en main." Robert Lacoste le lundi 7 janvier 1957
Laisserait-on aujourd'hui Paris quotidiennement atteinte dans sa chair avec une population terrorisée, des attentats meurtriers et aveugles, des atrocités, des dizaines de morts sans réagir?....
Le général (2S) Christian Piquemal nous fait part de sa vision des choses dans le N°199 de la revue "Debout les Paras"
10 pages de témoignages et de photos de ceux qui ont pris des risques pour que cesse la terreur
La Vraie Bataille d'Alger en 1957
par le Général Jacques Massu
Edition du Rocher (Jean-Paul Bertrand).
Au cours d'une existence de soldat, fertile en événements les plus divers, j'ai été plusieurs fois placé par la Providence, ou le Destin, dans l'obligation d'effectuer rapidement des choix importants, dont les conséquences débordaient le domaine militaire pour déboucher sur la politique qui ne m'a jamais inspiré aucun goût.
C'est le récit de l'un de ces choix, celui qui me fut proposé en 1957 et m'amena à livrer la « Bataille d'Alger », qui fait l'objet de cet ouvrage.
Que désigne-t-on exactement par Bataille d'Alger ?C'est l'affrontement qui opposa la 10° division parachutiste et les troupes de secteur à l'organisation F.L.N. d'Alger, au cours de l'année 1957.
Cette définition me paraît pompeuse, mais elle a été employée par notre adversaire, Yacef Saadi, dans son livre Souvenirs de la Bataille d'Alger, publié chez Julliard en 1962.
Dans mon esprit, cette bataille évoque l'ensemble des actions de toutes sortes, autant humaines que policières, menées par les Forces de l'Ordre pour enrayer le terrorisme et rétablir la confiance sur toute l'étendue de l'agglomération algéroise.
La phase « utile» s'est déroulée en deux temps, de janvier à mars et de juin à octobre 1957.
Tout ce qui se passa en Mitidja et dans les contreforts de l'Atlas qui bordent cette plaine eut une telle résonance que le département d'Alger en entier fut concerné par cette « Bataille ».
Pourquoi ai-je écrit cet ouvrage ?Un ensemble de circonstances m'y a entraîné.
Circonstances prévues, telles que les loisirs de la « retraite »; circonstances fortuites :
- la projection privée qui me fut faite en juin 1970 du film
de Pontecorvo-Yacef Saadi, sur la Bataille d'Alger,
- la lecture d'œuvres très variées en leurs genres sur
les années que j'ai vécues en Algérie,
- la rédaction d'un article qui me fut demandé sur certain
combat de cette époque,
- ma citation par le commandant Faulques dans son
procès contre l'Express en mars 1970.
Ces condiments ont excité l'état de « rumination » dans lequel je vivais depuis dix ans, nourri de tout ce qui se rapportait à l'Algérie. Ils ont provoqué chez moi la conscience d'un devoir, celui de mieux faire connaître, dans son contexte ingrat, mais aussi dans ses résultats :
la tâche demandée à la 10 division parachutiste et accomplie par elle en 1957.Je préviens donc le lecteur qu'il ne trouvera pas, dans les pages qui suivent, une nouvelle histoire plus ou moins romancée de la Bataille d'Alger. D'ailleurs, j'ai parfaitement conscience qu'il attend autre chose de moi. Il veut aujourd'hui des réponses à toutes les questions, certaines douloureuses, qui hantent encore son esprit.
Alger le 28 Janvier 1957Il veut connaître la vérité, savoir ce qui s'est passé et pourquoi cela s'est ainsi passé.
Qu'il s'agisse :
- De la torture, des assassinats de Français,
- des bombes, des ratonnades,
- de l'action clandestine sous tous ses aspects,
- de la riposte militaire et des menées anti-terroristes.
L'arrangement n'étant pas dans ma nature, j'ai visé de mon mieux l'honnêteté de la présentation :
C'est pourquoi j'ai accepté de répondre à toutes les questions, à toutes celles, m'a précisé mon éditeur, que souhaiterait vous poser chaque Français, d'où qu'il vienne, qui se trouverait en face de vous.
Cette façon de procéder entraîne la franchise et parfois même une certaine brutalité, elle ne permet ni les précautions de style, ni les échappatoires, ni les complaisances habituelles à bien des Mémoires.
Elle m'a donc paru répondre mieux qu'aucune autre à la curiosité légitime que treize années passées n'ont pas émoussée.
Eviterai-je la controverse ?Je le souhaite vivement, car si certaines brûlures ne sont pas encore cicatrisées, c'est surtout à leurs victimes que je pense en livrant ce témoignage.
Jacques Massu
La Vraie Bataille d'Alger en 1957
« Massu!, je vais vous confier l'ordre dans ce département.
Vous aurez tous les pouvoirs.
Avec votre division, vous allez reprendre tout en main. »
Voilà ce que me dit le ministre-résidant Lacoste en cet après-midi gris du lundi 7 janvier 1957, fête de sainte Mélanie
Disciple de saint Augustin, évêque d'Hippone, près de Bône, où il vécut de 391 à 430; il était né à Souk-Abnu en 354.
Je l'invoque aussitôt, en inscrivant sur mon agenda :
« Priez pour le nouveau commandant militaire du département d'Alger. »
Je remonte directement à mon domicile d'Hydra.
Il faut que je réfléchisse et que j'assimile ces mots, leur sens exact et tout ce qu'ils vont représenter pour moi et pour ma 10° division parachutiste, avant d'instruire mon état-major, mes collaborateurs les plus directs, tous ceux qui vont partager avec moi cette nouvelle responsabilité... et quelle responsabilité !
Pour en mesurer l'étendue, il est indispensable de décrire la situation à cette date.
En ces premiers jours de 1957, une bataille politique concernant l’Algérie se prépare outre-Atlantique.
C'est pourquoi mon premier souci, compte tenu des renseignements obtenus sur la recrudescence d'attentats annoncés avant et pendant ce débat à l'O.N.U., est de faire éclater la fourmilière terroriste en m'attaquant à son principal repaire :
la Casbah (74000 habitants dont 62000 musulmans).
Les paras dans la casbahDès la nuit du 7 au 8 janvier, j'inaugure mes nouvelles fonctions en ordonnant, dès trois heures du matin, une opération de contrôle de la partie nord-ouest de la Casbah :
énorme perquisition à laquelle participent les moyens disponibles, avec le concours d'assistantes sociales appelées à aider les services de sécurité dans les maisons où se trouvent des femmes musulmanes.
Nous n'avons que peu de renseignements, mais nos méthodes comprennent un bouclage absolu et
le travail d'équipes spéciales.
La police recommence à se sentir concernée : un début de liaison avec elle s'instaure.
Projecteurs, torches, échelles et matériel divers sont mis en œuvre.
L'opération ne prend fin que le 8 vers midi, après avoir permis d'appréhender trois cents suspects parmi lesquels on a retenu :
cinq tueurs du F.L.N. recherchés par la police.
On a saisi une trentaine de fusils et des pistolets.
On a surpris la réunion d'une quarantaine de jeunes gens venus de plusieurs régions d'Algérie.
Pour contrarier la fuite des fourmis terroristes et les piéger, je fais isoler les quartiers arabes (barbelés et patrouilles) et appliquer un nouveau plan de circulation.
La très grande majorité des rues seront à sens unique.
Des voitures radio seront placées à tous les carrefours.
Il s'agit aussi de recenser les musulmans travaillant dans les quartiers européens et sur le port, de les munir d'un laissez-passer permanent mais révocable, pour leur permettre de se rendre à leurs lieux de travail.
Pendant ce temps, dans la région algéroise, est capturé le chef communiste des groupes d'action des « Combattants de la libération », l'instituteur Abd el Kader Guerroudj, dit « Lucien ».
Mais le premier grand objectif concret que m'avait donné le gouvernement était de faire échouer la grève insurrectionnelle prévue par le F.L.N. pour le 28 janvier.
L'ordre de grève avait été lancé en français, en arabe et en berbère par les speakers de « Radio Aurès », poste clandestin du F.L.N.
Des tracts, souvent manuscrits, l'avaient diffusé.
Voici le texte de l'un d'entre eux, orné d'un cachet bleu de l' « Armée de Libération Nationale» :
« Cher Frère, au nom de Dieu et de l'Algérie,
tu es invité à participer à la grève générale de huit jours, qui doit commencer le lundi 28 janvier 1957.
Ceci afin d'apporter ton appui à la discussion de l'affaire algérienne à l'O.N.U. »
Je m'emploie donc à contrer cette grève aux diverses étapes de son déroulement :
préparation, déclenchement, exécution, conséquences.
En ce qui concerne la préparation, le 21 janvier étant un lundi,
je décide dès le vendredi de faire procéder au maximum d'arrestations possibles.
L'idéal était, bien entendu, d'appréhender tous ceux qui étaient à même de lancer les ordre de grève, puis de les diffuser.
Cet idéal n'était pas aussi utopique qu'on peut le penser.
Certes, les chefs suprêmes du F.L.N., le comité de coordination et d'exécution (C.C.E.), étaient hors de portée des autorités.
Mais dans les rangs des subalternes beaucoup ne se cachaient pas, considérant que les forces de l'ordre françaises, à peu près impuissantes devant les terroristes, étaient encore plus inopérantes vis-à-vis des « politiques ».
Le week-end précédant le 28 janvier est donc employé à appréhender tous ceux qui, d'après les renseignements, encore bien fragmentaires, en notre possession, sont à même de jouer un rôle, plus ou moins important, dans le déclenchement, puis le déroulement de la grève :
munis des listes d'adresses par quartiers, rues, numéros d'immeubles, qui leur ont été distribuées en fonction de leur implantation dans Alger, les quatre régiments paras lancent simultanément et de nuit autant d'équipes que de portes à faire ouvrir, pour embarquer en camions les 800 à 1 200 individus signalés.
Il ne suffisait pas d'appréhender : il fallait « mettre à l'ombre ».Le lieu choisi pour l'internement des suspects fut une cour entourée de petits bâtiments, dépendant de l'école des transmissions militaires de Ben-Aknoun, dans la banlieue d'Alger.
Le week-end est bien employé. Plusieurs centaines de suspects sont rassemblés à Ben-Aknoun lorsque se lève l'aube du 28 janvier.
Il faut souligner que l'opération dite « opération champagne » avait été faite de manière à entraîner le minimum de suites fâcheuses.
La préfecture d'Alger et, en conséquence, les services de police avaient été « mis dans le coup » de la préparation.
Un commissaire de police, M. Ceccaldi Raynaud, fut même placé à la direction du camp d'internement improvisé.
Ce n'était pas une sinécure, car il se trouvait en butte aux protestations d'innocence et aux réclamations simultanées d'un grand nombre d'individus arrachés à leurs foyers et mis brusquent en situation de promiscuité qui les encourageait, surtout hors de la vue des paras, à relever la tête.
J'avais également associé à mon action la population européenne.
En effet, les trois attentats qui l'avaient endeuillée, samedi soir précédent, avaient avivé un peu plus une exaspération dont je redoutais les effets :
Vers 17 h 30, trois bombes à retardement avaient explosé presque simultanément dans un rayon de cent mètres, à la brasserie « Otomatic », à la « Cafétéria », toutes deux rue Michelet, et à la brasserie « le Coq Hardi », rue Charles-Péguy :
Quatre femmes européennes tuées, une fut si déchiquetée qu'on ne put l'identifier immédiatement
Deux jeunes filles furent gravement blessées, une cinquantaine de personnes, dont vingt femmes atteintes et plusieurs mutilées.
Je fis alors publier le communiqué suivant :
« En cas d'attentat, il faut à tout prix éviter les attroupements et les embouteillages, afin, d'une part, de permettre l'évacuation rapide des victimes et, d'autre part, de ne pas présenter aux assassins une cible de choix. Il est donc essentiel de ne pas se précipiter vers les lieux des attentats par simple curiosité et encore moins par vil désir de vengeance. »
En même temps, je faisais lâcher par hélicoptère au-dessus des terrasses de la Casbah des tracts incitant les musulmans à se rendre à leur travail, dans l'espoir de diminuer le nombre oisifs et des promeneurs, qui deviennent trop souvent des cibles en cas d'attentat.
Les arrestations n'eurent manifestement aucun effet sur le lement lui-même :
les ordres étaient partis, quelques centaines d'arrestations dans toute l'agglomération algéroise n'y changeaient rien. Mais elles influencèrent le zèle des exécutants -
Les Algérois commençaient à se dire : « on n'avait jamais vu ça. ».
A suivre .......
Le Général Massu avec Max Lejeune en Mars 1957
Le vainqueur de la bataille d'Alger présente au secrétaire d' Etat des forces armées(terre) l'un des fusils pris par les parachutistes dans un arsenal clandestin constitué par le FLN au coeur de la casbah