Au Yémen pour le roiYémen 1964, le garçon de vingt-deux ans qui appuie ses avant-bras sur la kalachnikov qu'il porte en bandoulière n'a jamais fait la guerre. Il a tenté de "prendre en marche" celle d'Algérie. Mais elle lui a échappé, il était né trop tard. Dans l'OAS, il n'a pas non plus vraiment fait du terrorisme. Quelques bombes, deux trois rafales...
Aujourd'hui il contemple un paysage désertique, au milieu des montagnes noires plantées sur du sable violet, à portée du napalm et des bombes larguées par les Migs aux couleurs égyptiennes.
Il vient de rejoindre la cinquantaine de mercenaires français et européens qui se sont mis au service de l'armée royaliste de l'Imam El Badr, commandée par le prince Mohamed Ibn Hussein.
Cette armée essaie de reconquérir morceau par morceau le territoire de l'imam renversé en 1962 par une junte d'officiers "républicains" conduite par Sallal, un officier yéménite formé au Caire, installé et soutenu par les Soviétiques, par l'intermédiaire de Nasser et son corps expéditionnaire.
Plus de 30000 soldats d'élite égyptiens étaient arrivés dans les mois suivant le coup d'État pour sauver la République pro-communiste menacée d'être balayée par quelques 100000 hommes déjà ralliés à l'imam. Les républicains furent bientôt 60000, appuyés par les blindés et par l'aviation de chasse et de bombardement égyptienne.
C'est à Paris, à la terrasse du Père Tranquille, qu'un ex-officier du REP recrute les futurs volontaires qui partent dans les 48 heures après signature.
Les mercenaires, pour la majorité vétérans d'autres guerres forment la résistance royaliste, il enseignent les techniques de combat et de guérilla, ainsi que l'utilisation d'armes qu'ignoraient jusque là les Bédouins, encore limités au fusil et au poignard.
Les mercenaires forment un curieux mélange d'hommes venus se battre pour de l'argent, certes, mais surtout par goût du risque et par volonté de se rendre utile à une cause qu'ils estiment juste.
Ils mènerons aux dires de tous une guerre épuisante, tant moralement que physiquement
A son arrivée au Yémen, le jeune mercenaire peut voir Tony de Saint-Paul, alias Roger de Saint-Preux. Ex-sous lieutenant de l'armée française, spécialiste des questions arabes, un homme de grand courage, rompu à toutes les techniques de commandos.
Il est là. Dans une malle, mort, le corps cassé en deux, brisé par un obus de 37. Il attend depuis deux mois d'être rapatrié en France.
Tony de Saint-Paul était arrivé avec les hommes de Bob Denard et ceux du commandant Roger Faulques, ancien du 1er REP, cinq mois plus tôt.
"Je ne m'étendrai pas sur mes activités, écrivait Saint-Paul à un ami le 12 décembre 1963, quelques jours avant de mourir.
Elles sont nombreuses et la vie que je mène est dure, très dure. J'ai relancé la guérilla à ma façon et ça pète de tous côtés, mines, pièges, embuscades, voire attentat à Sanaa. Bien sûr, on ne parle pas du Yémen en Europe.
Pourtant ici il y aurait de quoi remplir les colonnes d'un "canard" difficile.
Je compte rentrer vers la fin janvier, début février, dépenser mon fric et peut-être revenir.
Ma tête chez les Égyptiens est passée de cinq cents dollars à dix-mille.
J'espère qu'elle montera encore. Preuve du bien que je leur prodigue."
1966. Le jeune mercenaire a maintenant l'expérience du vieux guerriers.
Il est retourné plusieurs fois en Europe mais il a renouvelé tous ses contrats.
La majeure partie du pays est maintenant sous le contrôle des royalistes. Les Égyptiens sont partis. Seuls quelques conseillers soviétiques sont restés aux côtés des républicains. Sanaa, la capitale du Nord est encerclée.
Les mercenaires enfilent leurs tenues "léopards". Les mots de Roger Bruni, l'un d'entre eux, et ancien de Diên Biên Phu résonnent à leurs oreilles: "Article 1: Le mercenaire est un seigneur! Article 2: Un seigneur ne peut-être que mercenaire!"
La colonne motorisée s'ébranle dans l'air frai de la nuit qui s'achève, à 9h30 les cinquante pièces de l'artillerie républicaine répondent au déluge de feu avec leurs orgues de Staline. Pendant huit heures, la plaine tressaille sous les coups des bombes. La victoire est là, pensent les Français. Sanaa va tomber.
Mais l'infanterie n'a pas attaqué.
Le prince n'a pas voulu donner l'ordre. L'amertume envahit les "soldats sans frontières". Ils s'observent sans rien dire, le visage noirci, fatigués, les treillis abîmés. Leur effort n'a servi à rien.
Les Yéménites redoublent de "French very good!", piètre consolation.
La guerre civile aboutira au partage du Yémen en une République arabe du Yémen (Nord, anti communiste) et la République "démocratique populaire".
d'après l'article "Au Yémen pour le roi" de Jean-Pax Mefret, in Historia n°406 bis