Armée française : nous peinons à recruter malgré des millions de chômeurs. Pourquoi ?
Modifié le 08-03-2013 à 15h56
Avatar de Frédéric Le Saint
Par Frédéric Le Saint
Lieutenant-colonel
LE PLUS. "Devenez vous-même", "Et si vous étiez déjà marin sans le savoir ?". Ces slogans vous disent quelque chose ? Ce sont ceux des publicités que diffuse l'armée française, en mal de nouvelles recrues. Avec trois millions de chômeurs dans le pays, comment se fait-il qu'elle manque de bras ? L'explication avec le lieutenant-colonel Frédéric Le Saint, stagiaire armée de l’air de la 20e promotion de l’École de Guerre.
Édité par Agathe Mercante
Ils sont de moins en moins nombreux à vouloir s'engager dans l'armée. ici, les paras de Carcassonne en 2007. (Nicole Jose/Sipa)
"Ça ne se bouscule pas au portillon !" déclare l’adjudant de permanence du CIRFA [1] d’une ville moyenne de province. Effectivement le centre est bien vide en ce mercredi après-midi, pourtant le jour de la semaine où l’affluence est habituellement la plus forte. "Depuis l’annonce du retrait des troupes françaises d’Afghanistan, nous avons constaté une baisse sensible des candidatures", poursuit l’adjudant. "Les jeunes qui viennent à nous veulent de l’action, de l’aventure. Ils veulent que ça bouge. Surtout ceux, en majorité des garçons, qui s’intéressent à l’armée de Terre".
Des besoins importantsBien que les effectifs du ministère de la Défense soient orientés à la baisse, les armées ont besoin d’attirer 30.000 jeunes hommes et femmes chaque année, dont 15.000 militaires du rang afin de maintenir une moyenne d’âge relativement basse (33 ans pour le personnel militaire).
Car une armée professionnelle exige une population jeune, disponible, motivée. Aussi avec un chômage à 10% de la population active (un quart des 15-25 ans), les emplois militaires pourraient séduire les jeunes, toutes catégories socio-professionnelles confondues. Pourtant il n’en est rien et les candidats sont rares aux portes des casernes pour remplacer les départs.
Ainsi pour un poste de militaire du rang à pourvoir, ils sont à peine deux à se présenter dans les CIRFA, et seulement 1,5 pour l’armée de Terre, selon le 6e rapport annuel du Haut comité d’évaluation de la condition militaire de juillet 2012. Difficile, dans ces conditions, de sélectionner du personnel de qualité. D’autant que beaucoup renoncent : 27% des engagés quittent l’institution dans les six premiers mois suivant leur incorporation.
Des initiatives pour attirer les jeunesPourvoyeur majeur d’emplois en France, le ministère de la Défense est donc contraint de déployer des trésors d’imagination pour attirer en quantité mais aussi en qualité.
Les campagnes de recrutement des trois armées et de la gendarmerie s’enchaînent de façon quasiment permanente. Il n’y a pas une semaine sans qu’une émission de télévision traite des sujets militaires avec quelques grands classiques comme les commandos ou les pilotes de chasse.
Des initiatives, parfois de portée interministérielle, ont été prises pour faire connaître les armées et attirer les jeunes, y compris dans les milieux les plus modestes. Citons la mise en place des projets "Défense deuxième chance", "Cadet de la Défense", mais encore le développement du tutorat et la formation militaire des jeunes réservistes.
Un métier où l'ascenseur social existe encore
Au-delà de ces actions, les métiers militaires ont aussi des atouts certains en comparaison avec l’offre du marché de l’emploi. Une certaine sécurité statutaire, même si les contrats proposés aux militaires du rang sont à durée déterminée. L’égalité des sexes est strictement respectée. Les soldes sont légèrement supérieures au SMIC, soit environ 1.200 €, sans compter les primes à l’engagement, et pour certains, des avantages en nature comme le logement et le déjeuner.
De plus, l’ascenseur social existe bel et bien ici, avec plusieurs passerelles vers les corps de sous-officiers puis d’officiers.
La bonne image des armées...Certes, l’image des armées au sein de la population est excellente. Plus de 80% des lycéens déclarent faire confiance à l’institution militaire selon une étude de l’IRSEM [2] menée en 2011. De plus, les valeurs militaires sont largement partagées par les jeunes. Le courage, la discipline, le sens du devoir sont des principes évalués positivement.
Parmi les principales motivations d’un éventuel engagement, les jeunes citent en premier lieu le désir de "faire quelque chose pour son pays" (37%), la seconde est le "goût pour le travail en équipe" (30%). En revanche, les missions qu’ils souhaitent voir réalisées par les militaires sont restrictives. Ils préfèrent une "armée protectrice des populations" ou tournée vers les missions de maintien de la paix, au détriment d’une armée de combattants.
Ainsi les interventions lors des catastrophes naturelles sont considérées comme les plus légitimes, avec la lutte contre le terrorisme.
... Mais qui ne convainc pasUne très bonne image donc, mais aussi une relative méconnaissance du métier des armes. Si la Journée Défense et Citoyenneté est plutôt bien perçue par les lycéens, elle est bien-sûr insuffisante pour leur présenter toutes les filières et spécialités possibles. D’autant plus que la chose militaire ne les attire pas particulièrement puisqu’un tiers à peine déclare s’y intéresser et un quart d’entre eux disent pouvoir s’engager… un jour.
Les principaux freins à l’engagement rejoignent les préoccupations de la société française. Concilier activité professionnelle et vie privée semble plus difficile pour les militaires. Et l’incontournable exigence de mobilité rebute une part croissante des jeunes Français. Enfin, dans une société qui refuse la violence, et toujours selon l’étude de l’IRSEM, 26% des jeunes estiment que les métiers militaires sont trop dangereux.
Des citoyens comme les autresPourtant l’enquête "les militaires et leur famille" réalisée en juin 2010 par la DRH-MD [3] démontre que les militaires sont en phase avec la société civile.
En termes de situation maritale, emploi du conjoint, nombre d’enfants, les situations et les tendances sont très semblables. Même l’accession à la propriété a fortement progressé, bien que le retard des militaires soit encore important. Selon cette même enquête, en 2007, 55% des Français actifs occupés, dont l’âge est compris entre 18 et 60 ans, sont propriétaires de leur logement principal.
Les militaires (hors gendarmerie) sont ainsi moins souvent propriétaires que leurs concitoyens (35%), mais cet écart tend à se résorber grâce aux aides mises en place par le ministère.
La mort, l'inévitableL’armée est donc bien dans la nation. Et les Français apprécient leurs armées. Mais c’est sans doute la société française qui évolue à contre sens du monde militaire.
Les exigences de disponibilité, de mobilité ne sont plus dans l’air du temps. Les jeunes rêvent d’aventure, d’action et d’autres horizons. Soit. Mais de là à risquer sa vie loin du pays…
La mort est, en effet, devenue insupportable pour nos contemporains, surtout la mort violente. Et le métier des armes implique forcement l’acceptation d’être amené à donner la mort et la recevoir. Les conflits récents ont rappelé douloureusement que la mort au combat n’a pas disparu. Au contraire.
Enfin, notons que l’esprit de défense n’est pas une priorité nationale. A quelques rares exceptions, les élites du pays démontrent un désintérêt total pour les questions militaires.
Recréer le lien armée-nationTrop souvent l’opinion publique n’est informée que des affaires relatives à telle ou telle supposée bavure. Les succès du quotidien sur le territoire national ou en OPEX [4] sont rarement commentés. Les soldats morts pour la France ne sont plus des héros. A contrario, chaque retour d’Afghanistan de militaire canadien mort au combat fait l’objet de parades et banderoles de remerciements le long des routes.
Le lien armée-nation apparait donc chargé de contradictions. Les efforts pour promouvoir l’esprit de défense doivent impérativement êtres poursuivis pour renforcer ce lien très fragile entre la nation et son armée, en insistant sur ce point essentiel : la mission des armées est bien de protéger les Français et les valeurs de la France en toutes circonstances.
sorce: http://leplus.nouvelobs.com/contribution/787681-armee-francaise-nous-peinons-a-recruter-malgre-des-millions-de-chomeurs-pourquoi.html
[1] Centre d’Information et de Recrutement des Forces Armées.
[2] Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire.
[3] Direction des ressources humaines du ministère de la Défense.
[4] Opérations extérieures