Livre / Petite histoire de la germanophobie, de Georges Valance
Le 13 octobre 2013
Jean-Claude
Lauret
Journaliste, critique littéraire.
Cliquez pour acheter
Le succès remporté par Angela Merkel lors des élections en Allemagne a eu en France une surprenante c.nséquence. Une vague de germanophobie a balayé le pays, déferlant en particulier sur le Parti socialiste. Arnaud Montebourg et Claude Bartolone se sont distingués par l’outrance de leurs propos. À les entendre, l’ennemi est toujours à nos portes, de l’autre côté du Rhin, prêt à fondre sur la douce France.
En 1990, Georges Valance, passionné d’histoire et d’économie, publiait chez Flammarion
« France-Allemagne, le retour de Bismarck », une analyse fine et quelque peu dérangeante sur les c.nséquences de la réunification de ces deux univers que tout semble opposer. Sans avoir l’air d’y toucher, cet observateur un tantinet impertinent vient aujourd’hui, avec cette
Petite histoire de la germanophobie, bousculer allègrement maintes idées reçues.
Tout d’abord celle de l’ennemi héréditaire. S’il faut donner une date de naissance à ce concept fort manichéen, il importe de s’arrêter au désastre de la guerre de 1870, lorsque les Prussiens lancèrent leur charge victorieuse. C’est en abattant sur le Second Empire sa poigne de fer que Bismarck donne à la Prusse et aux États germaniques une fierté qui n’était pas la leur et fonde le nationalisme allemand.
Georges Valance, avec une aimable aisance, entreprend de conter la lente mais inexorable dérive de ces deux continents géographiques qui vont devenir au fil du temps radicalement différents, au point que tout va bientôt les opposer.
Bien des lecteurs vont apprendre avec surprise que les Germains montrent dès le XVIe siècle une profonde hostilité vis-à-vis de l’univers latin : irréductible combat entre Luther et Rome ; protestants contre catholiques. Pendant ce temps-là, les Français, fiers de leur gloire, sont indifférents. On se heurte certes sur les champs de bataille, mais les hostilités s’arrêtent lorsque le combat prend fin.
Sous Louis XIV, le traité de Westphalie marque la suprématie française et l’affirmation du pouvoir royal devant une Germanie morcelée. Les Français, désinvoltes, arrogants, montrent leur savoir-faire et leur aimable détachement : au XVIIIe siècle, les maîtres du monde ne sauraient avoir d’ennemis, juste des admirateurs.
Dans ce parcours à travers le temps, Georges Valance montre la lente et subtile progression d’un antagonisme qui va séparer de façon irréductible les deux peuples, les deux nations, les deux États. Il explique cette déchirure radicale qui sépare depuis plus d’un siècle la France et l’Allemagne. Au patriotisme des uns s’oppose le nationalisme des autres. L’idée de la nation française, celle de l’État, se heurte à la perception du peuple, lequel est, pour les Allemands, le fondement d’un empire multinational où les réminiscences du Saint-Empire romain germanique vont jusqu’à justifier un Reich dans leur imaginaire.
Les regards de George Valance ne portent pas à la sérénité. Le couple franco-allemand risque fort de connaître dans l’avenir des scènes de ménage d’une belle violence. Le costume trois-pièces du commercial a remplacé l’uniforme de ce qui fut l’envahisseur d’hier sans être pour autant l’occupant d’aujourd’hui.
En ce début du XXIe siècle, la puissance économique détermine l’influence d’une nation. Aujourd’hui, la force de l’Allemagne tient à son ouverture vers la Russie et à la faiblesse de la France. L’angoisse du déclin français dans une compétition mondialisée explique ce déferlement de sentiments hostiles qui risquent de devenir de la haine.
Voici un livre piquant, titillant pour l’esprit, qui nous invite à regarder le passé et à réfléchir sérieusement sur le devenir. Un traité racontant l’histoire de deux passions antagonistes lorsque la germanophobie fait mauvais ménage avec la francophobie. Passionnant.
Petite histoire de la germanophobie
source: Bd Voltaire