Mali: une juriste en treillis pour conseiller les troupes françaises à Gao
12/6/15 - 07 H 57 - Mis à jour le 12/6/15 - 10 H 00
Le colonel Luc Laine commandant la région Ouest de Barkhane le 29 mai 2015 à Gao
Journal La Croix
Si des inconnus menacent des soldats français de la force Barkhane dans le nord du Mali, leur chef va alerter ses supérieurs, consulter ses adjoints, son chef des opérations. Mais aussi sa juriste.
Sur la base française collée à l'aéroport de Gao, le lieutenant Anne (elle ne peut être citée que par son prénom), 30 ans, est conseiller juridique. On dit "Legad", pour "Legal Advisor", en anglais.
"Mon rôle est de conseiller les chefs de corps et de détachement présents au Mali sur le droit des conflits armés et le droit international humanitaire", explique cette grande brune souriante, qui peut ainsi leur dire: "+Si vous prenez cette décision, vous engagez votre responsabilité, vous n'êtes plus dans le cadre juridique de l'engagement de la force+".
Son petit bureau, dans un préfabriqué climatisé, est à quelques mètres de celui du colonel Luc Lainé, commandant la région Ouest de Barkhane.
"Dans le cadre de certaines opérations, en fonction de la mission qui lui est donnée, il peut venir me demander s'il peut faire ceci ou cela, au niveau tactique", dit-elle. "Nous devons être prudents avec l'emploi de la force, il faire attention de ne pas déborder du mandat qui nous a été donné".
Cette fonction de conseiller juridique accompagnant les troupes françaises sur le terrain ne remonte qu'à 1999. Elle existait de longue date chez les alliés américains.
Sur les quelque 3.000 militaires de Barkhane, qui lutte contre les groupes jihadistes dans la bande sahélo-saharienne, environ 800 sont déployés dans le nord du Mali, face à peut-être 150 jihadistes - contre 1.500 à 2.000 avant l'opération Serval, lancée en 2013 pour les en déloger, selon une source militaire française.
"Tout découle de l'accord passé entre le président de la République française et le président du Mali", poursuit le lieutenant Anne. "Des règles d'engagement ont été rédigées en conformité avec les Conventions de Genève et les traités internationaux ratifiés par la France".
"Le Mali a autorisé la France à intervenir sur son territoire en utilisant la force. Mais on ne peut pas l'utiliser n'importe comment", souligne la juriste.
- 'Consultation en temps réel' -
Ces "règles d'engagement", qui commandent l'usage des armes, elle n'en parlera pas: "Elle sont classifiées. La seule chose certaine, c'est que la légitime défense suit tout Français partout dans le monde. Donc tout soldat attaqué a le droit de se défendre. Pour le reste, désolée, c'est confidentiel...".
En pratique, les jihadistes et bandits de tout poil écumant les zones désertiques du Nord préfèrent se rabattre sur des cibles jugées plus faciles, et se tenir à distance respectueuse des militaires français qui eux les traquent, arrêtant ou éliminant des combattants islamistes lors de raids.
Avant son départ, le lieutenant Anne, célibataire, a commencé par étudier en détail l'accord France-Mali, les règles d'engagement, tout le cadre juridique entourant Barkhane. Avec elle, sur des clefs USB, des manuels de droit humanitaire international, bien sûr les Conventions de Genève et tous les précis de droit de la guerre.
"Quand de nouveaux militaires arrivent sur le théâtre, je dois être en mesure de les briefer pour leur donner les limites précises de l'utilisation de la force", dit-elle. "Directement, par des séances d'instruction, ou indirectement, en passant par leurs officiers qui répercutent à leurs hommes".
"Pendant une opération, je peux être consultée en temps réel. Le colonel peut me faire venir en salle d'opérations et me dire: +Voilà, il y a ça face à une patrouille à tel endroit. Ils sont en mesure de faire ça, ça ou ça... Qu'est-ce qu'on a le droit de faire ?+"
C'est son stage de troisième, au 1er régiment de tirailleurs à Epinal (est de la France), qui a décidé de sa vocation militaire.
"Mes parents ont exigé que je fasse des études d'abord. Alors j'ai fait du droit, adoré le droit constitutionnel. Après avoir échoué à l'examen du barreau, j'ai passé un diplôme de criminologie, puis j'ai repensé à l'Armée de terre", raconte-t-elle.
En France, pour sa première affectation, elle a été choisie pour servir sur le site des Ecoles de Saint-Cyr Coëtquidan (ouest), où elle conseille les commandants et initie les militaires aux subtilités du droit de la guerre et des conflits.
AFP