Dans le petit port breton où il vit retiré, on l'appelle commandant car il a autrefois servi la République. L'ancien légionnaire est devenu écrivain, mais il lui arrive de ressasser ses aventures passées au bistrot du coin ?
Toute ressemblance entre Schoendoerffer et son héros serait bien évidemment fortuite. Toutefois, le baroudeur de Diên Biên Phu, qui revient à la littérature après vingt-deux ans d'absence, ne s'étendra pas - ou si peu - sur des aventures largement évoquées dans des ouvrages salués, couronnés et portés à l'écran. Il met cette fois en scène un combat d'une autre nature. Celui d'un écrivain contre lui-même.
Roscanvel, le filleul du narrateur, un jeune ingénieur bon genre, l'a chargé de mettre en forme le récit du naufrage de la course en solitaire dont il est rescapé. Mais, très vite, le ton monte entre les deux. Le navigateur ne se reconnaît pas dans les élucubrations apocalyptiques de son parrain. Il tente bien de tempérer ses excès lyriques:
«N'exagère pas la tempête, c'était un coup de chien force8, pas un typhon. Et ton coup de poignard! J'avais deux côtes fêlées, c'est tout.»Trop tard, son expérience ne lui appartient plus. Sa formation scientifique doit l'aider à admettre que la présence d'un observateur modifie le cours d'un événement. Surtout lorsque l'observateur en question est une sorte de personnage à la Blondin, flottant entre euphorie éthylique et désespoir, «singe en hiver» échoué sur un zinc.
«Et comment va s'appeler votre livre?», demande Jenny, la patronne du café qui fait mine de s'intéresser.
«L'Aile du papillon», répond le Commandant. Il raconte alors la légende de l'insecte ailé au pays du Matin-Calme. Par un simple battement d'ailes, il peut créer un imperceptible zéphyr capable par la force des choses de s'amplifier en ouragan déchaîné à l'autre bout du monde.
C'est ainsi que le naufrage du trimaran, non loin de Terre-Neuve, fera chavirer le destin de trois hommes. Celui du sinistré d'abord. Monté à bord d'un cargo poubelle, Roscanvel passe vite de l'autre côté du miroir. Le capitaine de ce rafiot, Profieffke, une brute qui exerce un pouvoir régalien sur sa «canaille», ne tardera pas à l'y suivre. Enfin, le narrateur à son tour va perdre pied.
La mise en abyme de cette fable épique permet à Schoendoerffer une célébration explicite des grands romanciers de l'aventure dont il est nourri: Conrad, Kipling, Stevenson. Loin d'entraver le cours du récit, le procédé narratif crée un suspens déroutant.
Les péripéties dramatiques de Roscanvel n'y prennent leur sens que dans les dernières pages en un saisissant épilogue. Le roman du roman n'en est pas moins prenant. Où l'on assiste aux affres d'un écrivain, hanté par le mal, tenaillé par des angoisses métaphysiques, interroger les abysses de la nature humaine et
«l'inexplicable et court passage de l'homme, sur la terre, aussi éphémère que la vie d'un papillon».
Avec ce roman magistral, le père du «Crabe-Tambour»
opère un retour en force. Cette grande figure atypique et quasi légendaire du monde des lettres y donne la quintessence de son art. Dédié à l'auteur de «Moby Dick», le livre semble faire écho à cet aveu de Melville dans son journal:
«J'aime tous les hommes qui plongent.»Claire Julliard
«L'Aile du papillon»
par Pierre Schoendoerffer
Grasset, 280 p., 17 euros
L'Aile du papillonPierre Schoendoerffer (Poche - Feb 9, 2005)
EUR 1,06
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