Les Français réconciliés avec leur armée - 14 juillet 2009

Les Français réconciliés avec leur armée


Par Pierre SERVENT (*)


Annonce de réductions drastiques d'effectifs, drame de Carcassonne, présence controversée du président syrien, Bachar el-Assad, le défilé 2008 du 14-Juillet s'était déroulé sur fond de profond malaise. Un an plus tard, les nuages semblent chassés et les militaires ont retrouvé le moral: 90% des Français leur font confiance. Explication de ce retournement de tendance, avant le défilé de mardi.



En un an, de l'eau a coulé sous les ponts de l'armée française. (Reuters)

Un 14-Juillet chasse l'autre. L'année dernière, l'armée avait le moral dans les chaussettes: annonce de réductions drastiques d'effectifs, drame de Carcassonne, démission-limogeage du chef d'état-major de l'armée de terre, présence controversée du président syrien, Bachar el-Assad... La coupe était chargée mais n'a pas empêché le défilé de se dérouler sans la moindre anicroche.

Cru 2009:changement d'ambiance. L'Inde est en guest star et c'est la saison des bougies: 20 ans pour la brigade franco-allemande qui défile et 75 ans pour l'armée de l'air. Mais surtout le coeur de cette fête nationale sera résolument opérationnel.

On serait tenté de parler d'un 14-Juillet "guerrier". Il semble bien que la Défense ait jeté aux orties ses pudeurs d'hier lorsqu'elle craignait d'afficher clairement le fait qu'un soldat est sélectionné, entraîné et engagé pour faire la guerre et pas seulement pour jouer les "Mère Teresa en treillis" dans le cadre de missions d'interposition, si nobles soient-elles. Nombre de ceux qui vont défiler sur les Champs reviennent du terrain, d'Afghanistan, du Tchad ou du Liban, ou des régions qui forment, selon la formule consacrée, un arc de crise:
Méditerranée-golfe Persique-océan Indien. Quant aux matériels, ils mettront l'accent sur "la protection" du soldat. Une autre façon de bien montrer qu'on ne plaisante pas avec cette dimension essentielle du fantassin moderne, bourré d'électronique mais plongé dans des guerres indirectes, asymétriques qui l'exposent cruellement s'il n'est pas caparaçonné pour se protéger des tirs ennemis et surtout des attaques kamikazes et des bombes artisanales.

Ubzin

Mais que s'est-il donc passé entre le 14 juillet 2008 et le 14 juillet 2009 pour expliquer cette mue? Un mot: Uzbin. Sur cette terre désolée d'Afghanistan, dix soldats français sont morts au combat, le 18 août dernier. La seconde plus grosse perte en hommes au feu depuis la guerre d'Algérie. Les Français ont alors pris conscience que leurs soldats n'étaient pas profilés prioritairement pour faire tourner l'économie locale de leur région d'implantation. Un choc! Et, du côté de l'armée de terre, un retour brutal aux réalités du métier. Non pas que les combats et la mort aient complètement déserté le paysage militaire français. Mais le poids d'un certain conformisme pesait pour faire du "guerrier" une figure dépassée et du mot "guerre" un nom quasiment honteux.

Pourtant la France mène bien en Afghanistan des opérations de guerre, comme en témoignent les chefs de corps qui rentrent de ce terrain. Pour certains, en six mois de présence, 50 engagements au feu. Et sur place, en Afghanistan, la France s'apprête, à effectif constant, à muscler son dispositif militaire, en le redéployant sur deux régions clés (Kapisa et Surobi) et en y envoyant prochainement son artillerie la plus moderne et ses hélicoptères de combat Tigre. Le défilé 2009 du 14-Juillet prend en compte cette nouvelle donne. La guerre est de retour dans le paysage mental français. D'ailleurs, le dernier film institutionnel de la Défense, qui passe en boucle sur les écrans de télévision, est significatif de cette mini-révolution: on y affiche la couleur et on y parle désormais de la guerre, des guerres, de celles d'hier et d'aujourd'hui. Nous sommes bien loin des images policées,
aseptisées qui présentaient, il y a quelques années, le métier militaire comme une profession semblable aux autres...

Les 14-Juillet sont parfois trompeurs. L'image est belle, les tenues rutilantes, les véhicules astiqués. Mais 2009, c'est aussi le 70e anniversaire d'un autre 14-Juillet... Celui qui vient aura le mérite de rappeler que cette communion patriotique et médiatique autour de l'armée ne doit pas faire oublier sa finalité. Avant la guerre de 1870, les officiers prussiens invités - comme leurs homologues étrangers - à suivre les brillantes manoeuvres françaises confiaient à leurs officiers français accompagnateurs: "C'est beau, c'est très beau... mais ce n'est pas la guerre!"
Le 14 juillet 1870, la France déclarait la guerre à la Prusse et allait être écrasée. En mettant les opérations au coeur de sa version du 14 juillet 2009, la Défense tente de réduire l'écart entre le "beau" organisé et "les opérations" qui ont souvent un parfum nettement plus chaotique.

(*) Spécialiste des questions de défense, auteur de Les guerres modernes expliquées aux civils et aux militaires (Buchet-Chastel)

Trés bel article.
Si les français se réveillent, j'espère qu'il en sera de même pour tous les pays européens.
Que l'on cesse enfin de prendre les militaires pour des membres d'une ONG humanitaire.