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| Jean-Charles Jauffret : « Un traumatisme durable parmi les cadres de l’armée » | |
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Philippe MULLER Expert
| Sujet: Jean-Charles Jauffret : « Un traumatisme durable parmi les cadres de l’armée » Ven 15 Avr 2011 - 21:31 | |
| la-croix.com 15/04/2011 12:45 : - Citation :
Pour l'historien, les soldats de métier ont vécu lors de la guerre d’Algérie l’abandon des harkis comme un drame et éprouvé un profond ressentiment à l’encontre du général de Gaulle
ENTRETIEN Jean-Charles Jauffret, historien (1)
On sait que la guerre d’Algérie a été un traumatisme pour les appelés. L’a-t-elle été aussi pour les cadres de l’armée française ? Jean-Charles Jauffret : Plus qu’un malaise, la guerre d’Algérie a créé aussi un traumatisme durable parmi les cadres de l’armée française. Après la guerre d’Indochine, c’est la seconde fois que ces militaires de carrière sont contraints à ramener le drapeau. De plus, ils ont été confrontés à une guerre asymétrique à laquelle ils n’étaient pas préparés et qui les a amenés à commettre des exactions ou des actes de torture.
En outre, la guerre d’Algérie s’est terminée par une victoire militaire pour l’armée française, mais elle est une défaite morale dès 1957 à cause de la bataille d’Alger, une défaite diplomatique car la France se voit pointée du doigt par l’Assemblée générale de l’ONU, et une défaite politique, l’opinion métropolitaine voulant abandonner l’Algérie dès l’été 1956.
Cette armée a, enfin, le sentiment d’avoir été roulée dans la farine par le général de Gaulle. Remportant à partir de 1958 la victoire qui lui était demandée, elle ne comprend pas le discours, prononcé le 16 septembre 1959 par le chef de l’État, sur l’autodétermination de l’Algérie. Elle continue de se battre en 1960, mais elle apprend la tenue des conversations de Melun avec des membres du FLN et a alors le sentiment d’être lâchée.
Le traumatisme s’explique surtout par la fin du conflit, qu’elle estime désastreuse et dramatique à cause de l’abandon des harkis au couteau de l’égorgeur : des officiers se sont, d’ailleurs, rebellés contre le sort de ces derniers, organisant l’évacuation d’un certain nombre d’entre eux en métropole, au risque d’être sanctionnés par des jours de forteresse.
L’armée a-t-elle éprouvé un ressentiment à l’encontre du général de Gaulle ? Il convient de distinguer entre les appelés, qui sont reconnaissants à de Gaulle de leur apporter la quille, et les soldats de métier. Astreints au devoir de réserve, ils vont appliquer à la lettre cette maxime que Gambetta recommandait à propos de la Revanche (2) : « Y penser toujours (à la guerre d’Algérie), n’en parler jamais ! »
Le ressentiment est d’autant plus profond qu’une épuration sévère, qui a commencé avec la mutation début 1960 en métropole du général Massu, touche les rangs de l’armée à la faveur du putsch des généraux du 23 avril 1961. À la fin de la guerre, des régiments seront dissous pour des raisons politiques et des officiers placardisés dans des fonctions honorifiques.
Parallèlement, les perspectives de la force de frappe nucléaire, rendues possibles pour une période de cinq ans d’essais dans le Sahara inscrite dans les accords d’Evian, ne séduisent pas les cadres militaires. Et les procès, faits au nom de la sûreté de l’État à ceux qui ont rejoint l’OAS ou fomenté des attentats anti-gaullistes, peuvent semer un esprit de fronde comme celui qui a été observé pour la mise en œuvre de l’exécution de Jean-Marie Bastien-Thiry, le 11 mars 1963 (3).
Jusqu’à quand l’armée française a-t-elle « ruminé » la guerre d’Algérie ? La guerre d’Algérie est vraiment digérée à partir de la fin des années 1970, ceux qui ont vécu le conflit n’étant plus dans l’active. On a commencé à l’oublier en 1966 avec le nouveau règlement de discipline générale des armées, qui reconnaît désormais le droit de ne pas appliquer un ordre illégal. Le mouvement s’est poursuivi en 1972 avec l’adoption du statut militaire confirmant ce droit.
Sous l’impulsion de De Gaulle s’est mise en place une éthique rigoureuse fondée sur le « plus jamais la torture ». Tous les cadres de l’armée l’acceptent aussitôt. Et on peut dire que l’armée française a acquis aujourd’hui le réflexe de ne plus jamais s’abaisser aux méthodes de l’adversaire durant les guerres subversives. Le code du soldat, élaboré en 2000, et le comportement des militaires français en Afghanistan en témoignent.
Recueilli par Antoine FOUCHET
(1) Professeur à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, auteur, aux Éditions Autrement, de Soldats en Algérie 1954-1962 (2001, 22,95 €) et Ces officiers qui ont dit non à la torture (2005, 13 €).
(2) Phrase prononcée en 1872 à propos de la perte de l’Alsace-Moselle en 1870.
(3) Officier fusillé pour avoir organisé et dirigé l’attentat du Petit-Clamart, le 22 août 1962, visant le général de Gaulle. | |
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