Extrait de "Instant de vie 1959-1962"Jean-Pierre FOURQUIN
Enlèvement
Après ma mission à la Sous-préfecture, je réintégrais la SAU de la Mékerra où il n’y avait plus personne : Virgile Hernando et Pierre étaient rentrés en métropole fin juin, quant aux moghaznis, j’avais pu en faire partir quelques- uns pour la métropole avec leur famille et les autres étaient, sans doute, passés aux fells.
Un jour, un peu après le 5 juillet, vers 7h00/7h30, je me dirigeais vers le « secteur postal » pour prendre le courrier et les messages. Au moment de traverser la rue, je fus abordé par 2 musulmans armés, en civil, qui m’ont intimé l’ordre de monter dans une 403 Peugeot, à côté du chauffeur, ceux-ci prenant place à l’arrière du véhicule, canons de leur arme posés sur le dossier du siège avant, juste derrière ma tête. Craignant une maladresse qui m’eût été fatale, je ne pipais mot durant le trajet.
Heureusement, ce jour- là, j’étais en uniforme avec mon « képi bleu ».
Je précise ce détail vestimentaire, car dans le contexte anarchique qui régnait dans l’armée française lors de l’indépendance algérienne, les ordres que je recevais du haut commandement des affaires algériennes d’Oran étaient, parfois d’être en tenue civile pour raison de sécurité ou parfois d’être en uniforme également pour raison de sécurité heureusement, aujourd’hui, c’était « tenue militaire ».
La voiture traversa le centre de Bel Abbés et se dirigea vers le quartier arabe, y entra et après quelques rues étroites, s’arrêta devant une maison sans signe distinctif particulier, hormis un drapeau algérien au-dessus de l’entrée (depuis l’indépendance, il y avait des drapeaux algériens partout).
On me fit sortir du véhicule qui redémarra immédiatement.
J’étais maintenant sous la garde d’un fellagha armé d’un P.M. (mais oui, le même que le nôtre), en treillis, qui était posté dans l’entrée de cette maison, en haut de 2 petites marches en pierre qui donnaient sur un couloir assez sombre dans lequel s’ouvraient plusieurs portes sur la partie droite.
La première de ces portes, située à moins d’un mètre de la porte d’entrée, était ouverte. A l’intérieur, une rangée de bancs courait devant les 4 murs. On me fit asseoir sur le banc à gauche en entrant, à côté de musulmans en civil, qui attendaient.
Tous les bancs étaient occupés par des musulmans, j’étais le seul européen.
Nous étions environ une trentaine d’hommes.
La pièce était grande, les murs recouverts de carrelage blanc et bleu à mi-hauteur. Le haut : verdâtre avec quelques plaques blanchâtres.
De temps en temps, un autre fellagha venait chercher l’homme qui était assis à droite de la porte ouverte et l’emmenait vers le fond du couloir. Le fell de garde nous faisait alors nous déplacer d’un rang vers la gauche.
On n’entendait rien en provenance de ce couloir.
On apercevait la rue par la porte ouverte de la pièce qui donnait sur la porte d’entrée, également ouverte, de la maison.
De temps en temps, la 403 revenait et déposait un musulman à qui l’on enjoignait de s’asseoir sur le banc à gauche en entrant.
Aucun de ceux qui étaient partis vers le fond du couloir n’est repassé devant notre porte. Soit, dans le meilleur des cas, ils sont sortis par une autre porte, soit, dans le cas le plus probable, ils ont été enfermés et conduits, la nuit venue, en dehors de la ville.
J’ai appris plus tard qu’il s’agissait de harkis ou de moghaznis qui, après avoir été interrogés par le ou les commissaires politiques, au fond du couloir ou au sous-sol, étaient sauvagement assassinés.
Le temps passait et la chaleur avait envahi notre pièce.
Nous ne parlions pas et aucun bruit particulier ni dans la maison ni dans la rue, même pas les cris habituels des enfants.
Quelques heures plus tard, j’avais fait à peu près la moitié du trajet, c’est-à-dire que je me trouvais vers la fin du second mur de bancs, presque diamétralement opposé à la porte d’entrée de la pièce et à la porte de la maison.
Brusquement, troublant le calme de cette petite rue, une jeep s’arrêta devant la porte, 3 gendarmes PM au poing en giclèrent: l’un contrôlant le fellagha de garde, l’autre contrôlant la rue, le troisième, plus âgé, me faisant un signe péremptoire de la main. En quelques fractions de secondes, nous étions tous embarqués et la jeep redémarrait en trombe.
Pas un seul coup de feu tiré, prouvant la maîtrise parfaite de ces gendarmes car nous étions, après l’indépendance, en territoire « étranger ».
Ceux-ci étaient intervenus, prévenus par un(e) musulman (e), sans aucun doute (car il n’y avait pratiquement plus aucun européen à S.B.A.) qui avait vu passer un « képi bleu » dans une voiture bien particulière (les Peugeot 403 étaient utilisées par le FLN, après avoir été utilisées par l’OAS).
Après quelques remerciements adressés à mes « anges gardiens », nous nous sommes quittés au Quartier Viénot (légion étrangère) où j’y avais quelques bons amis et notamment le Colonel Vaillant avec qui j’avais eu l’occasion de travailler et où j’ai pu y résider quelques temps avant de recevoir ma nouvelle affectation.
La question qui me taraudait :
Pourquoi m’avait-on enlevé ?
Question qui est restée sans réponse car, heureusement, je n’ai pas rencontré le ou les commissaire(s) politique(s) ni les « sbires » qui devaient m’interroger, et, c’est beaucoup mieux ainsi car comme on le sait maintenant, ces salauds ne conservaient pas, vivants, les civils ou les militaires qu’ils avaient enlevés.
Etait-ce pour mon rôle d’Officier des affaires algériennes ?
Les S.A.S. ont, depuis leur création, créés d’important problèmes au F.L.N., en supprimant les multiples relais de nourriture ou de repos que représentaient la moindre mechta ou le moindre petit village.
Par ailleurs, étant le dernier képi bleu de Sidi Bel Abbés, ils ne risquaient pas d’attirer l’attention des autres képis bleus à la suite de ma disparition.
Un message d’un important commandant de l’A.L.N. (Armée de Libération Nationale) stipulait « il est du devoir de chaque combattant de l’A.L.N. d’exterminer un maximum d’officiers S.A.S. car ils nous causent beaucoup plus de torts et de pertes en hommes que les parachutistes ».
Etait-ce pour mon rôle de sous-préfet par intérim ?
J’avais délivré, en quelques jours, des centaines de laissez- passer favorisant ainsi le départ, protégé par la légion étrangère, de nombreux Français d’Algérie dont je me sentais responsable.
Etait-ce pour mon « insolence » vis-à-vis du « sous-préfet » algérien ?
Ces nouveaux fonctionnaires du nouvel état algérien se considéraient comme des êtres supérieurs, détenteurs de l’autorité suprême.
Autant de questions sans la moindre réponse……..mais peu importe, l’important c’est d’être
encore là pour en parler……………………………………..et j’en suis très heureux, et tout cela…………….
Grâce à la baraka.
Mais, jamais, je ne retournerais en Algérie car il ne faut pas tenter le diable………………..
Jacky tu connais bien "La baraka"